
« Mèches », 1988-1996, gravure sur métal © Devorah Boxer
Lauréate du Prix de Gravure Mario Avati 2015, Devorah Boxer exerce son talent dans un domaine très particulier, celui des objets – ustensiles, mécanismes anciens et outils. Taille-crayon à manivelle, éponge métallique, serrure romaine, peigne de tisserand, mèches, etc., depuis une quarantaine d’années, l’artiste en a fait le sujet et la matière d’une oeuvre aussi originale que passionnante. Comme en témoignent les quelque soixante-dix estampes et dessins réunis à l’Académie des Beaux-Arts jusqu’au 9 octobre 2016.
Parallèlement à cette exposition, et jusqu’à cette même date, on peut voir également une sélection d’oeuvres de Devorah Boxer à la Galerie de l’Echiquier, qui représente l’artiste.
Devorah Boxer n’a pas toujours dessiné et gravé des objets et des outils. « Il y a eu d’abord des personnages dramatiques, bibliques, sur bois« , dit-elle. Une influence de l’art expressionniste allemand que l’artiste, née à Troy (New-York) en 1935, admirait et dont nombre de représentants se sont réfugiés aux Etats-Unis, chassés par le nazisme. De même que les artistes et professeurs du Bauhaus, comme Josef Albers, qui viendra enseigner à Yale et dont Devorah Boxer a suivi les cours de Dessin. C’est dans cette même Yale Art School qu’elle s’est initiée à la gravure avec Gabor Peterdi, peintre et graveur hongrois émigré aux Etats-Unis en 1939. Devorah Boxer souligne l’influence du Bauhaus sur son travail, en dessin comme en gravure.

« shaker-brush », 2011 © devorah-boxer
C’est à Paris, où elle est venue s’installer définitivement en 1959, que l’artiste américaine se perfectionne dans la gravure en suivant les cours de Jacques Frélaut à l’atelier Lacourière et s’initie aux techniques de l’impression avec le maître taille-doucier Jean Pennequin. (1)
Quand on demande à Devorah Boxer comment elle en est venu, à partir de la fin des années 1970 à privilégier les objets, les outils, il lui est difficile de répondre précisément à cette question. Mais une chose est sûre, elle a « toujours aimé les objets, leur patine, l’intelligence des objets, leur utilité« .

» Serrure Romaine », gravure sur cuivre, 2001 © Devorah Boxer
Intelligence de l’objet à laquelle vient s’ajouter le regard de l’artiste qui l’extrait de son usage quotidien, le considère « sous toutes les coutures », pourrait-on dire, pour enfin le restituer dans sa plénitude d’objet. À partir des années 1980, les objets captés par le regard de Devorah Boxer, souvent agrandis, occupent le premier plan du dessin et/ou de la gravure, prenant parfois des allures de sculpture (Taille-crayon, Mèches), de tableau abstrait (Serrure Romaine) ou de paysage (Profil et Face, Tamis de maçon)
Sous cet alignement de Mèches, une gravure sur métal qui pourrait figurer dans une collection d’art brut, les dates indiquées – 1988-1996 – nous interpellent. En fait elles résultent d’un « accident ». « Je travaille beaucoup avec l’accident« , nous dit Devorah Boxer, c’est à dire avec ce que le procédé et le matériau font surgir, indépendamment de la volonté de l’artiste. Et le temps aussi. N’étant pas satisfaite du résultat de cette gravure, de l’apparence du fond, Devorah Boxer abandonne, utilisant même le revers de la plaque pour autre chose. Mais « l’acide a travaillé, sans moi« , explique l’artiste, et les Mèches ont pu exister.

« dix-kilos-iv », 1996 © Devorah Boxer
Dans la série des « poids et mesure », toujours très précis (mètre en bois ou métallique), on s’est arrêtée devant le poids de dix kilos…Alors que dans la plupart des gravures , l’espace disparait, occupé tout entier par l’objet représenté, ici, la masse sombre du poids figure dans la moitié inférieure de la gravure, tandis que l’anneau en position verticale se découpe sur le fond clair. Entre ciel et terre? Celle-ci semblant exercer sa force d’attraction sur le poids dont on ressent … le poids. Sans oublier le grain de la matière. Cette gravure figure d’ailleurs en couverture du catalogue publié à l’occasion de l’exposition qui lui a été dédiée en 2008 au Musée de Gravelines. (2)
La gravure ne découle pas forcément d’un dessin préalable. Devorah Boxer aime beaucoup dessiner « pour dessiner » et parfois le dessin suffit. Et tous les objets ne viennent pas de la brocante : ce Hérisson, par exemple, elle l’a acheté au sous-sol du BHV, « une mine« … Il y a aussi l’objet trouvé par hasard, comme cette Retenue de pompier (pièce de jonction qui se monte sur une bouche incendie). Trouvé « sur le trottoir à Bordeaux« , cet objet d’abord non identifié est devenu le sujet de plusieurs oeuvres…

« Éponges métalliques », dessin encre de chine, gouache sur papier, 2010, photo db// gravure sur métal, 2007 © Devorah Boxer
L’artiste transforme un objet en sujet, donnant au premier une réalité nouvelle, intense et poétique. Une métamorphose qui est le fruit d’une attention bienveillante aux objets et d’un travail complexe et maîtrisé, sur bois trouvé, cuivre ou zinc, mêlant plusieurs procédés d’impression chimique et mécanique – eau-forte, aquatinte, pointe sèche, taille-douce… Un regard et un talent que le prix Mario Avati (3) a récompensé et que les expositions à l’Académie des Beaux-Arts et à la galerie L’Échiquier permettent de découvrir.

« Remington et boite »1990 © Devorah Boxer
(1) L’atelier Lacourière a été fondé en 1929 par Roger Lacourière (1892-1966), imprimeur en lithographie et taille-douce. La rencontre avec Picasso en 1930 est déterminante. En 1957 Roger Lacourière laisse sa succession à Jacques Frélaut, son collaborateur depuis1938. Outre Picasso, ce sont les plus grands artistes qui auront confié leurs oeuvres gravées à l’atelier – Picasso, Derain, Miró, Braque, Rouault, Segonzac, Moore… – qui ferme ses portes en 2008.
Jean Pennequin ouvre son atelier en 1936. Il travaille avec Picasso, Braque, Villon, Masson, Erni, Tal Coat, Carzou… et initie Messagier, Tinguely ou Arman, imprimant aussi bien leur estampes que leurs illustrations de livres. Il réalise également des estampes de reproduction, notamment La Bethsabée de Picasso. (sources : Bnf)
(2) Devorah Boxer : L’œuvre gravé 1956-2005. Catalogue raisonné, par Roland Plumart. Musée de Gravelines, Malbodium Musuem, 2006.
(3) Attribué pour la première fois en 2013 à Jean-Baptiste Sécheret puis en 2014 à Christiane Baumgartner, Ce prix a été créé en hommage au graveur Mario Avati, grâce à la donation d’Helen et Mario Avati, sous l’égide de l’Académie des beaux-arts et le parrainage de CAFAmerica. D’envergure internationale, il est destiné à encourager les artistes qui, par la qualité de leur œuvre contribuent à faire progresser l’art de l’estampe, à laquelle Mario Avati a consacré sa vie. Il récompense un artiste confirmé, de toute nationalité, pour son œuvre gravé, quelle que soit la technique d’impression utilisée. Il est doté d’un montant de 40 000 US $.

Devorah Boxer, Académie des Beaux-Arts, septembre 2016 © db
Académie des Beaux-Arts
23 Quai de Conti
75006 Paris
Tél: 01 44 41 43 20
Exposition : Entrée libre
du mardi au dimanche de 11h à 18h.
Galerie l’Échiquier
16 rue de l’Échiquier
75010 Paris
Téléphone : 06 82 85 32 30