SUPER TERRAM  à l’Espace Voltaire : une exposition hors des sentiers battus…

Gonzalo Borondo_Éter_2021_© photo_Roberto Conte

SUPER TERRAM, Gonzalo Borondo, « Éter » © photo Roberto Conte

… et l’expression n’est pas anodine, car si le titre de l’exposition signifie « hors sol », c’est bien sur un sol recouvert de terre que commence le parcours du visiteur dans les quelque 3000 M2 de l’Espace Voltaire, situé sur une ancienne fabrique industrielle dans le 11ème arrondissement parisien (1). Répondant à l’invitation de la Fondation Desperados pour l’Art Urbain, l’artiste-curateur Gaël Lefeuvre a réuni une dizaine d’artistes internationaux dont les oeuvres se présentent comme une allégorie de nos vies contemporaines, en perte de repères face à la nature et à l’existence d’un monde commun. Un état que les artistes interprètent, chacun à sa façon, par le biais d’oeuvres organiques et souvent évolutives :sculptures, installations visuelles et sonores, ainsi que des oeuvres d’art numérique, toutes réalisées in situ. Un propos cohérent et une belle harmonie entre des oeuvres puissantes et l’espace qui les accueille. Parcours subjectif…
À voir jusqu’au 19 mars 2023

Sitôt franchi la porte de l’exposition qui donne directement sur la rue, on est confronté à l’irrégularité de la terre sous ses pieds et à l’obscurité. Momentanément déstabilisé par ces nouvelles sensations qui brouillent nos repères, on va devoir apprivoiser le lieu. D’autant que notre première perception dans la pénombre, est celle du faciès grimaçant d’un clown blanc (Jean Lambert-wild / alias Gramblanc) sur un écran vidéo.

SUPER TERRAM, Collectif Cela, « Fabrique de la réminiscence » © Matteo Berardone

Puis ce seront des images mouvantes projetées au plafond, celles de la Fabrique de la réminiscence, une installation du collectif Cela. Des diapositives – portraits, photos de famille, paysages, bâtiments, voyages… –    sont filtrées par des bacs d’eau parcourus de vagues artificielles. Visions anonymes et fugitives…

Alors qu’on s’est peu à peu adapté à la pénombre, le regard est saisi par la lumière vive d’une autre installation du collectif Cela, Résolution, où, cette fois, c’est à sa propre ombre mouvante et déformée que le visiteur est confronté, par le biais de deux barres lumineuses, dont les variations d’intensité et de couleurs répondent à des oscillations sonores.

SUPER TERRAM , Amir Roti_ »Le chant du vide » © Matteo Berardone

C’est presque avec soulagement que l’on retrouve la lumière tamisée et le sol de terre dans les salles suivantes,  à la rencontre d’oeuvres aussi variées qu’originales et dont le sens s’impose avec force. Que ce soit la perfection formelle de l’ellipse sculptée dans le marbre par Amir Roti, Le chant du vide, sorte d’astre lunaire en équilibre sur un cratère de terre, propice à la contemplation et au toucher (oui, on peut!).

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SUPER TERRAM, Germain Pin, « Glissement sémantique » / Photo db

Ou, dans un tout autre registre,  le Glissement sémantique de Germain Pin qui s’est emparé du QRcode dans une installation monumentale et évolutive où ce dernier, fait en partie de terre, va se déliter sous l’action de l’eau qui s’écoule sur la rampe où il est installé. Un nouveau « glissement » qui vient s’ajouter à celui, sémantique,  que représente cette nouvelle langue qu’est le le QRcode, mais qu’on observe dans le réel cette fois, dans l’évolution de sa forme plastique… Qu’en restera-t-il le 19 mars? … Ou encore Lumen, l’installation de A.L. Crego, qui mêle photographie, video, motion design dans une représentation saisissante de l’humaine condition, de la grotte ancestrale à la foule sans visage, entre la caverne de Platon et  Metropolis…

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SUPER TERRAM, A.L. Grego, « Lumen » / Photo db

Puis il faut passer par la cour pour entrer dans un nouvel espace où est exposé l’impressionnant travail de gravure à l’acide sur verre de Gonzalo Borondo. Gravées sur des hauts panneaux de verre, les silhouettes fragmentaires issues de la statuaire religieuse se reflètent entre elles, brouillant et démultipliant l’espace, une sorte de jardin du sacré où s’égare le visiteur. (Cf photo plus haut)

Lequel devra ressortir à nouveau pour pénétrer dans le dernier espace de Super Terram, qui se déploie sur deux étages. On s’arrête d’abord sur l’installation visuelle et sonore, Endurance is a flower,  où Addam Yekutieli (alias Know Hope) aborde les notions de mouvement, de migration et de survie. On se faufile entre des arbustes aux branches dénudées parsemées de bouquets de fleurs, en écoutant Rabia conter son histoire, celle d’une femme algérienne qui a pris son destin en mains en traversant la Méditerranée.

MONTAGE

SUPER TERRAM, Joaquin Jara, « Érysichthon » / Photo db

Tout autre est le propos de Joaquin Jara. Son installation sculpturale, Érysichthon, se veut « une métaphore du capitalisme » et de sa « dévoration » sans fin de l’environnement, de ses ressources et habitants à des fins lucratives. S’inspirant du personnage du mythe grec d’Érysichthon,(2) l’artiste l’incarne en la personne du roi Henri II, ce qui lui permet de réinterpréter de façon saisissante, dans un mélange de matériaux  organiques (bois, végétation, etc.) deux sculptures de la Renaissance : La Diane d’Anet, portrait de Diane de Poitiers, maîtresse d’Henri II, représentée sous les traits de la déesse Diane et Les Trois Grâces. (3)

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SUPER TERRRAM, Michael Beitz , « This is what I would do » / Photo db

À l’étage suivant, c’est aussi à un travail de déconstruction/reconstruction, mais teinté d’humour, que se livre Michael Beitz avec des objets du quotidien : chaises, fauteuil, tapis, canapé, lampe, mis au rebut et glanés dans les environs de Paris sont recyclés en totale déconnexion avec leur usage initial. Une autre façon d’inspirer une réflexion sur nos modes de vie. Quant à la Berceuse de guerre, de Seth, dans la dernière salle, elle nous renvoie à une actualité devenue incontournable. La petite fille dissimulées sous son anorak, agenouillée au centre d’un cercle de terre, tient un mobile dont les figurines de métal projettent leur ombre sur les murs. Des créatures fantastiques, allégories de la guerre, issues de l’art populaire ukrainien du XXe siècle.

Retour à la lumière pour traverser la cour et,  aller entendre Le chant des sirènes, une installation sonore du groupe Cela : une mise sous tension et le courant se métamorphose en sons au gré des éléments qu’il traverse, modulé également par son environnement et les passages des visiteurs…

C’est le bruit de la rue qui nous accueille au sortir de la cour… Un boulevard Voltaire qui retentira trois jours plus tard des pas et slogans des manifestants. Le chant du collectif

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Boulevard Voltaire , 11 février 2023 / Photo db

ARTISTES : Michael Beitz (Etats-Unis), Matteo Berardone (Italie), Gonzalo Borondo (Espagne), le collectif CELA (France), A. L. Crego (Espagne), Germain Ipin (France), Joaquín Jara (Espagne), Amir Roti (France), Seth (France), Axel Void (Etats-Unis) et Addam Yekutieli alias Know Hope (Israël).

(1) Au sein de l’Espace Voltaire est conduit depuis 2019 un vaste projet d’occupation temporaire porté par la coopérative Plateau Urbain. La Fondation Desperados pour l’Art Urbain a été conviée dans le but de magnifer l’espace une dernière fois à travers une exposition d’art urbain hors norme. Au terme de l’événement SUPER TERRAM, le bâtiment, objet d’un projet immobilier,  sera totalement restructuré.
(2) Fils du roi de Thessalie, Érysichthon a commis le sacrilège d’abattre un chêne consacré à la déesse Demeter. Pour le punir, la déesse l’affecte alors d’une faim insatiable, si bien qu’après avoir dévoré tous ses biens, Erysichton se met à se dévorer lui-même.
(3) Sculptures qu’on peut voir au musée du Louvre

SUPER TERRAM
Espace Voltaire
81 boulevard Voltaire
75011 Paris

Entrée gratuite
Ouvert du mercredi au dimanche
de 11h à19h

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