Jean-Jacques ROUSSEAU : Ecrire à MONTMORENCY

Montmorency, le « Donjon » / photo DB

A l’occasion du tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau, né à Genève le 28 juin 1712, de nombreuses manifestations sont consacrées à l’écrivain et philosophe. La ville de Montmorency, où  il a vécu de 1756 à 1762 et écrit des œuvres majeures –  Julie ou la Nouvelle Héloïse, Du Contrat SocialEmile ou de l’Education – lui rend hommage  avec une exposition, Rousseau passionnément, présentée au musée qui lui est dédié et qui vient de rouvrir après des travaux de rénovation. Une invitation à revisiter la vie, l’œuvre et la pensée du philosophe et à découvrir la paix et le charme d’un lieu qui fut particulièrement propice à son inspiration.
A voir jusqu’au 9 décembre 2012 

« le petit Mont-Louis », la maison où Jean-Jacques Rousseau a vécu de décembre 1957 à Juin 1762 et où est installé son musée, porte bien son nom :  petite est la demeure – que le nouveau locataire trouvera d’ailleurs en fort mauvais état à son arrivée – et rude est la montée qui y mène. Mais une fois là-haut, la vue est superbe au-delà de l’écrin de verdure du jardin. On essaie d’imaginer ce qu’elle pouvait être du temps où Jean-Jacques Rousseau écrivait dans son « donjon », une minuscule construction carrée à laquelle on accède par une volée de marches au fond du jardin. De proche en lointain, il nous faut gommer les constructions avoisinantes, les tours de La Défense, le Sacré-Cœur, la tour Eiffel…

Portrait de Rousseau par Quentin de La Tour / Photo DB

Paris, cette « ville de bruit, de boue et de fumée », que Rousseau décide de fuir en avril 1756, se réduit à une ligne d’horizon, une fois installé sur la colline de Montmorency. A cette époque, comme le rappelle Chantal Mustel, directrice du Musée, Rousseau « est déjà quelqu’un de connu, puisqu’il a rédigé ses deux premiers discours, celui sur Les Sciences et les Arts et, surtout, le « Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes » qui a fait grand bruit. Il est également un musicien célèbre : « Le Devin du village » a été joué devant la cour et le roi lui a proposé une pension qu’il a refusée. Rousseau a en effet décidé de se tourner vers sa vie de philosophe, de vivre désormais selon  ce qu’il appelle « sa réforme »  et qui implique sa rupture avec Paris, cette « société factice » où il vit « entouré d’hommes aux passions égoïstes ».

Le choix de Montmorency découle de  l’invitation de Madame d’Epinay à séjourner dans sa résidence de l’Ermitage. Il y trouve « une nature selon son cœur » où il va commencer à écrire La Nouvelle Héloïse. La brouille avec son hôtesse le contraint à quitter l’Ermitage et à louer la petite maison rurale de Mont-Louis où il s’installe avec sa compagne, Thérèse Levasseur.

La maison du « Petit Mont-Louis »/ photo DB

Le premier ouvrage qu’il y rédige, La lettre à d’Alembert, va consommer sa rupture avec les philosophes et encyclopédistes, Voltaire et Diderot en tête. Suit une intense production, avec la rédaction de Du Contrat social, Emile ou de l’éducation, le début de son œuvre autobiographique avec les Lettres à Malesherbes et l’achèvement de l’Essai sur l’origine des langues. Le Petit Mont-Louis est donc « la maison des grandes ruptures, le laboratoire de l’écrivain », résume Chantal Mustel.

Cette maison, avec son jardin et le cabinet de travail, constitue aujourd’hui le Musée Jean-Jacques Rousseau. Inauguré en 1952, il est labellisé Musée de France et a reçu en octobre 2011 le label Maison des Illustres. Du mobilier ayant appartenu à Mme d’Epinay à l’Ermitage, un acte notarié, des documents iconographiques et les témoignages de l’époque ont permis que soit restitué avec fidélité et sensibilité le cadre de l’écrivain. Au rez-de-chaussée ont été reconstituées la cuisine et la chambre de Thérèse, au 1erétage, celle de Rousseau, avec sa table de travail, le tout rénové à l’occasion du tricentenaire.

La chambre de Rousseau / Photo Amand Berteigne

Une autre aile de la maison, ajoutée au XIXe siècle, accueille des expositions temporaires centrées sur Rousseau, le XVIIIe siècle et l’histoire locale. C’est dans un espace totalement repensé pour répondre aux normes de conservation des collections – matériaux des vitrines, environnement climatique, éclairage des objets – et d’accessibilité qu’est présentée l’exposition du tricentenaire, Rousseau, passionnément, inaugurée le 9 juin dernier.

L’exposition a pour fil conducteur le thème des passions, central dans la pensée et dans la vie de celui qui était à la fois philosophe, écrivain, musicien et botaniste (1). « Pour Rousseau, l’homme est naturellement bon – ce qui exclue le péché originel – et animé par deux passions primitives, l’amour de soi et la pitié. Celle-ci va minorer l’amour de soi, qui du coup ne se transformera pas en amour propre », explique Chantal Mustel, précisant que « c’est sur cette base qu’il va élaborer Le Discours sur l’origine de l’inégalité et son système philosophique. Une théorie qui dérange et va susciter ces «  passions haineuses et cruelles»  autour de son œuvre », auxquelles s’opposent les « passions aimantes et douces » qu’ont été pour Rousseau la musique puis la botanique. Enfin la « passion amoureuse », dernier volet de l’exposition, évoque les quelques figures féminines qui ont marqué la vie du philosophe.

Le musée, exposition « Rousseau, passionnément » / Photo Amand Berteigne

Des pièces rares des collections du musée ont été rassemblées pour illustrer ce parcours. On peut voir notamment des exemplaires annotés de la main de Rousseau du Contrat social et du Discours sur l’origine de l’inégalité, l’herbier réalisé pour Mademoiselle Delessert, le portrait de Rousseau au pastel par Quentin de la Tour et sa dernière copie de musique .

L’exposition a également bénéficié de deux prêts exceptionnels,  la copie autographe de La Nouvelle Héloïse, rédigée à Montmorency à l’intention de la Maréchale de Luxembourg (bibliothèque de l’Assemblée nationale) et le manuscrit des Dialogues ayant appartenu à Condillac (Bnf). On saluera à la fois la cohérence du propos et la clarté de la scénographie, qui rendent attractifs et lisibles les documents présentés et permettent une réelle approche de l’œuvre et du contexte – le plus souvent polémique – dans lequel elle a été publiée. Enfin, l’exposition a fait l’objet d’un catalogue richement illustré et documenté, édité par la ville de Montmorency.

La bibliothèque. au centre le buste de Rousseau, à droite celui de Diderot / photo DB

Jouxtant le musée, la bibliothèque d’études rousseauistes installée dans la « Maison des Commères » (2), met à disposition des lecteurs et chercheurs quelque 3000 titres, ainsi que les archives historiques de la ville.

Après la visite on traversera le jardin pour gravir les marches qui mènent au « donjon »  – qu’on ne visite pas mais on peut voir par la vitre l’aménagement  minimaliste de la petite pièce où Rousseau écrivait – s’attardant au passage auprès de ce « cabinet de verdure », avec sa table et son banc de pierre sous les frondaisons, où Rousseau aimait à recevoir ses visiteurs. Il émane de l’ensemble du lieu une douce quiétude.

Le « cabinet de verdure » / Photo DB

Celle-ci sera brutalement rompue pour Rousseau le 9 juin 1762, lorsque la condamnation par le Parlement de Paris, après la Sorbonne, de Emile ou de l’éducation le contraint à fuir Montmorency et gagner la Suisse. D’abord Yverdon, puis Môtiers, Genève lui étant interdite suite à la condamnation de Du contrat social par le Conseil de la ville. Il ne reviendra à Paris qu’en 1770, après un détour par l’Angleterre. Mais c’est à  Ermenonville (3) où il s’est réfugié quelques semaines plus tôt, fuyant à nouveau la capitale où il se sent persécuté, qu’il meurt le 2 juillet 1778 et est inhumé.

Hommage lui sera rendu officiellement quelque quinze ans plus tard, le 11 octobre 1794, avec l’entrée de sa dépouille au Panthéon, où Jean-Jacques Rousseau repose face à Voltaire…

Le « Donjon », intérieur / Photo DB

(1) Ce thème des passions fera l’objet d’un colloque les 28 et 29 septembre 2012 organisé par le Musée et son comité scientifique à Enghien-les-Bains et Montmorency. Renseignements et réservation au 01 39 64 80 13
Pour l’ensemble des manifestations prévues jusqu’au 14 décembre consulter le site dédié : http://rousseau2012-info.montmorency.fr/agenda.php#
2) Dénommée ainsi par Thérèse en raison de ses deux locataires, des jansénistes qui « […] se fourraient partout et voulaient se mêler de tout ».
(3) Ermenonville où Rousseau a été invité par le marquis René de Girardin. Dans le cadre de « 2012 l’Oise fête Rousseau », de nombreuses  manifestations ont également été organisées dans cette ville de l’Oise.

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