« Le Paris de Dufy » s’expose à Montmartre

Dufy Raoul (1877-1953). L’atelier de l’impasse Guelma (1935-1952) Paris, Centre Pompidou – Musée national d’art moderne – CCI

Le musée de Montmartre se devait d’accueillir cette exposition des oeuvres de Raoul Dufy (1877-1953) ayant pour motif Paris. Arrivé du Havre, sa ville natale, en octobre 1899, le peintre ne tardera pas en effet à installer son atelier au premier étage du 12 rue Cortot, qu’il partage avec un autre Havrais, Othon Friesz. La Butte, alors un lieu privilégié pour rencontrer artistes et galeristes, offre aussi un point de vue unique pour découvrir la capitale, que Dufy n’aura de cesse d’arpenter et de peindre. Rassemblant près de deux-cents oeuvres et documents, l’exposition Le Paris de Dufy met en évidence  l’importance du motif parisien dans l’oeuvre de l’artiste et la diversité des domaines où il s’est exprimé : peinture, aquarelle, dessin, gravure sur bois, tapisserie, croquis destinés aux tissus imprimés, céramique.
À voir jusqu’au 2 janvier 2022

Quelques mots tout d’abord sur le musée, auquel on aura accédé de préférence par la rue des Saules, à partir de la rue Caulaincourt. (1) Une fois franchi le seuil du 12 de la rue Cortot, on est saisi par le charme du lieu, inauguré en 1960 et labellisé musée de France en 2003, avec ses bâtiments de part et d’autre des jardins réaménagés en 2012 en s’inspirant des toiles que Renoir a peintes pendant son séjour rue Cortot. Il y a la maison du Bel-Air,  qui a la réputation d’être la plus ancienne demeure de la butte Montmartre, construite  au XVIIe siècle et qui abrite les collections permanentes,  et les deux ailes de l’hôtel Demarne (fin XVIIIe siècle)) qui accueillent les expositions temporaires et où au deuxième étage ont été reconstitués, d’après des documents d’époque, les appartements et l’atelier de Suzanne Valadon et de son fils Maurice Utrillo. 

Vue de Paris depuis Montmartre, 1902 Collection particulière© Adagp, Paris 2021

Ce 12 de la rue Cortot où Raoul Dufy, 25 ans après Renoir, s’installe à son tour, au premier étage, après un bref séjour dans un premier atelier situé rue Campagne-Première. Son arrivée à Paris, en 1899, coïncide avec l’Exposition Universelle dont la Tour Eiffel est le symbole. Elle contribue à la fascination qu’exerce la capitale sur le jeune Havrais qui la parcourt – ne serait-ce que pour aller de Montmartre à l’Ecole nationale Supérieure des Beaux-Arts où il est inscrit –  crayons et carnet de croquis en poche. Il visite les musées, se rend régulièrement au Louvre, observe et se promène dans les jardins, croque les scènes de la vie quotidienne, dessine les monuments emblématiques, des vues de Paris depuis Montmartre ou d’autres points de vue… Bref, « un flâneur en lévitation » pour reprendre l’expression de Didier Schulmann, co-commissaire de l’exposition. (2)  

Il n’en reste pas moins que Dufy n’est « absolument pas repéré comme un artiste ‘de Paris’ », souligne Didier Schulmann, et l’organisation de cette exposition a été « au départ, une idée , une intuition, sans penser que ce serait à l’arrivée si pléthorique et couvrirait la carrière entière de Raoul Dufy . Et d’ajouter : « ce qui permettra peut-être d’ouvrir des perspectives sur cet aspect de l’oeuvre de Dufy, sa relation à Paris ». 

Dufy Raoul, Le Moulin de la Galette Paris, musÈe d’Art moderne de la Ville de Paris.

Dès le début de l’exposition, trois oeuvres mettent en évidence l’évolution de la palette autour du motif parisien, de la Vue de Paris depuis Montmartre (1902),  au Moulin de la Galette (1939) en passant par Le 14 juillet (1912). C’est à Perpignan – où il fuit la guerre – que, de souvenir ou presque, une simple reproduction en couleurs lui servant d’aide-mémoire, Raoul Dufy a « traduit dans dans sa langue particulière » le célèbre chef-d’œuvre de Renoir Bal du Moulin de la Galette de 1876.  

C’est aussi d’atelier en atelier que Dufy parcourt la capitale, le paysage parisien des immeubles anciens, comme en témoigne la série des bateaux-lavoirs sur la Seine, vus de la fenêtre de son atelier de l’île Saint-Louis (1904).  Mais l’espace de l’atelier devient lui aussi motif d’inspiration, « La dilatation de l’espace caractéristique donne à l’atelier une fonction d’ouverture sur le monde », souligne Didier Schulmann. Notamment celui de l’impasse Guelma, dans le XVIIIe arrondissement, que l’artiste occupe de 1911 à 1950,  et qui a inspiré à partir de 1935 trois tableaux, dont L’Atelier de l’impasse Guelma (1935-1952), conservé au musée national d’Art moderne et présent dans l’exposition,  « la plus épurée des trois oeuvres », précise Saskia Ooms. (voir photo plus haut)

Raoul Dufy, Le Modèle, 1933, Musée d’Art moderne Paris Photo db

L’atelier est aussi « un espace musical », comme en témoignent les 78 tours qu’on y a retrouvés… Car s’il a peint des salles de concert, comme Le grand concert (1948) exposé dans une salle suivante, « Dufy était surtout un mélomane de phonographe », indique Didier Schulmann.

L’atelier, c’est aussi l’espace où sont peints les nus. Une salle est consacrée à une série de nus effectués dans l’atelier de l’impasse Guelma, entre 1930 et 1944, exposés sous le regard sévère de madame Dufy, dans un portrait peint en 1930… Sur ces toiles, le nu s’inscrit souvent dans un espace pictural où figurent la reproduction esquissée de tableaux de Dufy,  une sorte « d’exposition accompagnant sa vie d’artiste », pour reprendre la formule de Didier Schulmann. 

De la lumière des nus, on passe aux salles plus sombres et à une autre facette de son univers créatif avec un ensemble de sièges réalisés par le Mobilier national et les manufactures des Gobelins, de Beauvais et da la Savonnerie, à partir de motifs créés par Dufy en hommage aux monuments français. Monuments que l’on retrouve dans le Panorama de Paris. Commande de l’État et réalisé par la manufacture de Beauvais, ce paravent propose une étonnante vision de Paris, entre cartographie moyenâgeuse et photo aérienne, où veille la tour Eiffel.

Raoul Dufy et André Groult, Panorama de Paris, 1933
© Adagp, Paris 2021

Cette incursion dans la tapisserie a  été précédée par la collaboration de Dufy, dès le début de sa carrière dans les années 1910, avec des fabricants célèbres de textile et surtout, avec le styliste de mode Paul Poiret. Un aspect évoqué dans les dernières salles de l’exposition, avec aussi la production graphique  de Dufy : affiches, brochures touristique, etc. 

L’exposition se devait d’évoquer La Fée Électricité.Cette fresque monumentale peinte sur un assemblage de 250 panneaux de contreplaqué, avait été commandée à Dufy pour orner le Pavillon de l’Électricité à l’Exposition internationale des arts et techniques de 1937. On peut voir au musée de Montmartre les lithographies de La Fée Électricité réalisées en 1951 et retouchées par Dufy. Ce qui donne envie au visiteur de redécouvrir l’original au musée d’Art moderne de la Ville de Paris… 

En attendant, on aura été au dernier étage visiter l’atelier appartement de Suzanne Valadon et Maurice Utrillo, avant, peut-être une pause au café Renoir et dans les jardins… 

Musée de Montmartre, vue partielle des Jardins-Renoir © db

(1) Ça monte, bien sûr, un escalier d’abord, puis un peu de dénivelées sur les pavés inégaux de la rue des Saules, mais on baigne tout de suite dans l’atmosphère « historique » de Montmartre, celle qui échappe à la foule touristique venue par le funiculaire et à ses boutiques et terrasses. On commence par longer à gauche le cimetière Saint-Vincent – on remettra peut-être à une autre fois la promenade entre les tombes d’artistes et personnages connus -, puis on passe devant le cabaret Au Lapin Agile, et juste après, à l’angle de la rue des Saules et de la rue Saint Vincent, s’alignent les vignes en pente du Clos-Montmartre, avec ses 2000 pieds vendangés chaque année… On tourne à gauche dans la rue Cortot, quelques pas encore avant de pousser la porte du musée… 

(2) Le commissariat de l’exposition est assuré conjointement par Didier Schulmann, ancien Conservateur au Musée national d’art moderne/CCI – Centre Pompidou Paris, et  Saskia Ooms, Responsable de la conservation du Musée de Montmartre.

Musée de Montmartre
12, RUE CORTOT
75018 PARIS

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