« Phèdre! », un Racine jubilatoire découvert au Théâtre de la Bastille…

Photo Christophe Raynaud de Lage : Festival d’Avignon

« Phèdre! » /Photo Christophe Raynaud de Lage

Comment retracer la généalogie des protagonistes de la célèbre pièce de Racine, décrypter les ressorts de la tragédie classique et la subtilité de l’alexandrin, faire partager sa passion pour l’oeuvre  non sans se livrer à quelques digressions, blagues et jeux de mots, et finalement l’interpréter, tout cela seul en scène et en 1h40 chrono ? C’est le défi que relève haut la main et pour la plus grande joie des spectateurs le comédien Romain Daroles,  sur un texte et dans une mise scène de François Grémaud.

(Ce spectacle de la 2b company, présenté au théâtre de la Bastille à Paris en mars dernier, continue à tourner en province et en région parisienne jusqu’à fin mai 2022, voir plus bas dates et lieux)

« Phèdre! » /Photo Christophe Raynaud de Lage

C’est  dans un décor minimaliste, une simple table et une moquette blanche, que Romain Daroles accueille les spectateurs, large sourire et petit livre à la main. Celui-ci sera le seul accessoire dont va disposer le conférencier-comédien, pour simuler entre autres la couronne royale de Phèdre ou la barbe de Théramène, le « gouverneur » de Thésée…

Ce petit livre – qui sera distribué à tous les spectateurs un petit peu avant la fin du spectacle – est en fait le texte de Phèdre ! avec un point d’exclamation – une pièce de théâtre contemporaine, plus précisément une comédie », précise d’entrée Romain Daroles, interprétant le texte de François Grémaud. Une comédie qui met en scène « une façon d’orateur », lequel, se proposant justement de jouer Phèdre! finit par raconter et jouer une autre pièce, « celle-ci considérée comme un des chef-d’oeuvres de la littérature classique », il s’agit, on l’aura compris, de Phèdre, sans point d’exclamation cette fois, de Jean Racine, où l’amour de « la fille de Minos et de Pasiphaé » pour son beau-fils Hippolyte provoque le pire.

phedre 2Au fil de 1h 40 la progression est subtile, d’une introduction à l’oeuvre qu’on pourrait qualifier de scolaire, mêlant érudition et clins d’oeil amusants (1)- point n’est besoin en effet d’avoir relu Phèdre avant d’aller voir le spectacle – à l’enthousiasme, l’admiration un peu béate, d’un amoureux de l’oeuvre de Racine. Ce que François Grimaud appelle « un étonnement joyeux », et qui, pour lui, caractérise les créations de la 2b Company, « la joie dans son acception philosophique, nietzschéenne, où l’on célèbre d’une certaine façon la vie, le fait d’être vivant, tout en n’étant pas dupe du tragique de l’existence ». (2)

Et c’est bien ce que fait passer Romain Daroles sur la scène. Il y a son accent du midi, ses gestes et mimiques en passant d’un rôle à l’autre, ses blagues de conférencier décalé, et il y a aussi le drame de la passion, la langue de Racine, sa façon si sensible de jouer avec la contrainte de l’Alexandrin pour faire surgir l’émotion…

Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue;
Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler;
Je sentis tout mon corps et transir et brûler.

Alors, après une dernière pirouette qui consistera, à la demande du « conférencier », à ouvrir tous ensemble le petit livre, tout juste distribué, à la page 62 pour y lire «  qu’en effet le personnage – qui porte par ailleurs le même nom que l’acteur qui le joue, Romain Daroles – se rend soudain compte qu’il ne lui reste plus assez de temps pour parler de la pièce qu’il était censé présenter … » et à écouter un dernier alexandrin : « Voilà, la pièce, ma foi, se termine ainsi : FIN », les applaudissements salueront la performance de Romain Paroles et l’ingéniosité du texte de François Grémaud qui auront guidé le public vers l’étonnement joyeux de la redécouverte de Phèdre…

©cloan_nguyen

Romain Daroles, « Phèdre! » ©cloan_nguyen

(1) C’est d’ailleurs pour un public de lycéens, à la demande du Théâtre Vidy-Lausanne, que le projet a été initialement conçu et créé – déjà avec Romain Daroles –  avant que François Grémaud n’en fasse une version de scène présentée en 2019 au Festival d’Avignon où elle a remporté un franc succès.
(2) Phèdre ! est le premier volet de la trilogie que François Grémaud entend consacrer à trois grandes figures féminines tragiques des arts vivants classiques : Phèdre (théâtre), Giselle (ballet) et Carmen (opéra).

Dates et lieux de tournée de Phèdre! :TOURNÉE PHÈDRE!

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