FRANÇOIS-ANDRE VINCENT au Musée des Beaux-Arts de Tours, la redécouverte d’un artiste méconnu

FAV AFFICHE 1François-André Vincent, un artiste entre Fragonard et David » : un « entre » qui aura sans doute été fatal à l’artiste tombé dans un oubli quasi complet en dépit d’un talent de dessinateur et de peintre reconnu à son époque. Dans une imposante monographie, fruit de décennies de recherches, Jean-Pierre Cuzin a recensé et analysé l’oeuvre de François-André Vincent pour en dégager l’originalité et la portée. La récente publication de l’ouvrage aux éditions Arthena, ainsi que l’exposition présentée au Musée des Beaux-Arts de Tours jusqu’au 14 janvier 2014, puis au Musée Fabre de Montpellier du 8 février au 11 mai 2014, devraient permettre de redonner sa juste place à cet artiste. 

Le musée des Beaux-Arts de Tours, à quelques pas de la cathédrale, est installé dans l’ancien palais de l’archevêché, construit en 1767 et classé Monument historique. Contemporain de l’oeuvre de François-André Vincent (1746-1816), l’édifice était un écrin adéquat pour accueillir la première grande exposition consacrée à l’artiste, avec plus de 150 oeuvres.

François-André VINCENT,  La Leçon de dessin, 1774 / Paris, coll. particulière © Illustria

François-André VINCENT,
La Leçon de dessin, 1774 / Paris, coll. particulière © Illustria

« François-André Vincent, un artiste entre Fragonard et David« ,  l’intitulé de l’exposition a valeur chronologique et esthétique. Né douze ans après Fragonard (1732-1806) et deux ans avant David (1748-1825), « Vincent a en effet évolué d’un style brillant proche de celui de Fragonard, avec qui il a souvent été confondu, à une manière antiquisante faisant de lui le rival de David« , écrit Jean-Pierre Cuzin.  Celui-ci a fait le déplacement à Tours pour guider notre visite.

François-André VINCENT,  Portrait de Lemonnier à la tête bandée, 1774 - 1775 © Marseille, musée des Beaux-Arts / Chipault-Soligny

François-André VINCENT,
Portrait de Lemonnier à la tête bandée, 1774 – 1775 © Marseille, musée des Beaux-Arts / Chipault-Soligny

François-André VINCENT,  Triple portrait de l’artiste, de l’architecte Pierre Rousseau et du peintre Coclers dit van Wyck  1775 © RMN-Grand Palais / Daniel Arnaudet

François-André VINCENT,
Triple portrait de l’artiste, de l’architecte Pierre Rousseau et du peintre Coclers dit van Wyck
1775 © RMN-Grand Palais / Daniel Arnaudet

On découvre au fil des salles une oeuvre extrêmement diversifiée,  « complexe et multiforme, qui de plus annonce souvent le romantisme« . Des portraits d’abord où excelle ce fils d’un peintre en miniature réputé, avec une belle entrée en matière dans la première salle où est présenté le Triple portrait de l’artiste, de l’architecte Pierre Rousseau et du peintre Coclers dit Van Wick, réalisé en 1775 à Marseille , sur le chemin de retour de Rome où Vincent, lauréat du Grand Prix à 21 ans, a été pensionnaire de l’Académie de France. Un autoportrait qui évoque Fragonard,  comme La leçon de dessin  peinte un an plus tôt (laquelle ne serait-elle pas d’ailleurs le fruit d’une collaboration entre les deux artistes qui se sont rencontrés à Rome?) et où Jean-Pierre Cuzin  met en évidence ces  « blancs à touches nerveuses« ,  une des caractéristiques de Vincent. On les retrouve, ces blancs, dans cet étonnant tableau qu’est le Portrait de Lemonnier à la tête bandée, longtemps attribué à Géricault.

François-André VINCENT,  Molé et les factieux,  1779 © C2RMF – Cliché Thomas Clot

François-André VINCENT,
Molé et les factieux, 1779 © C2RMF – Cliché Thomas Clot

Les peintres français du XVIIIe siècle se sont en permanence inspiré des sujets de l’histoire et de la mythologie grecques et romaines. Si François-André Vincent n’échappe pas au genre, ses scènes historiques ne se limitent pas à l’Antiquité  et évoquent aussi l’histoire nationale et « c’est l’un de ses apports importants« , souligne Jean-Pierre Cuzin.  En témoigne Molé et les factieux, un tableau représentant un épisode de la Fronde, «  encensé au Salon de 1779 et très documenté  notamment dans le soin apporté au décor environnant« . Cette oeuvre imposante (3,25m x 3,25m), a été prêtée par l’Assemblée Nationale, auprès de laquelle le musée du Louvre l’a mise en dépôt depuis 1920.

C’est dans la mythologie, L’Enlèvement d’Orythie, que Vincent a puisé le thème de l’oeuvre destinée à sa réception à l’Académie. On a apprécié de voir côte à côte le tableau achevé et l’esquisse,  avec, on l’avoue, un penchant pour la «  belle liberté d’exécution » (J.P. Cuzin) de la seconde qui appartient à la collection du musée des Beaux-Arts de Tours.

François-André VINCENT,  Orythie enlevée par Borée, 1781/1782 -  / Oeuvre achevée © MBA Rennes / Esquisse © Tours, musée des Beaux-Arts

François-André VINCENT,
Orythie enlevée par Borée, 1781/1782 – / Oeuvre achevée © MBA Rennes / Esquisse © Tours, musée des Beaux-Arts

Pendant la période révolutionnaire les artistes, en l’absence des commandes royales et de l’aristocratie, répondent à celles d’une clientèle privée de la bourgeoisie, le plus souvent des portraits. (1) Vincent en réalise plusieurs qui comptent parmi ses chefs-d’oeuvre.

François-André VINCENT,  La leçon de labourage,  1793-1798 © Mairie de Bordeaux/Lysiane Gauthier

François-André VINCENT,
La leçon de labourage,
1793-1798 © Mairie de Bordeaux/Lysiane Gauthier

Il peint aussi La Leçon d’agriculture ou de labourage, conçue à l’origine comme l’un des quatre tableaux sur le thème alors très en vogue de l’éducation destinés à l’hôtel particulier d’un industriel toulousain.(2) L’oeuvre est un mélange d’allégorie, de référence à l’histoire de l’art – le bras de l’agriculteur renvoie à celui du Dieu le Père de la chapelle Sixtine – et d’étude naturaliste, avec les boeufs et la terre labourée « très nouvelle à cette époque et qui annonce les peintres de Barbizon« , indique Jean-Pierre Cuzin.

François-André VINCENT,  Suvée, peintre d’histoire  vers 1772-1775 © BIU de Montpellier/Service photo

François-André VINCENT,
Suvée, peintre d’histoire
vers 1772-1775 © BIU de Montpellier/Service photo

Enfin, il y a les très nombreux dessins, extrêmement variés tant dans la technique que dans l’inspiration, avec notamment des séries de « portraits-charge » qui font penser à Daumier par la justesse de l’expression. Pour Cuzin, chez François-André Vincent la caricature « loin d’être une compensation, un exutoire (…) est au centre de (sa) création « dans le droit fil de son « souci de représenter, d’analyser l’homme« , d’où son caractère « novateur dans le domaine du portrait« . (3)

Alors, pourquoi l’oubli à partir du XIXe siècle? Lequel va de pair avec l’attribution de plusieurs de ses oeuvres à d’autres artistes. Quelle est l’originalité de Vincent, quelle est sa place? Dans la longue postface à son ouvrage, Jean-Pierre Cuzin s’efforce de répondre à ces questions. « Sa spécifique grandeur, écrit-il, ce fut d’être partie prenante des mouvements novateurs de la peinture européenne, et pas seulement française, pendant la cinquantaine d’années, entre 1760 et 1810, où bascula un monde. En étant presque toujours à l’avant-garde, mais sans s’engager exclusivement dans un genre ou un style (…) »  En adaptant son style au sujet, en « pressentant les modes« , Vincent a donné à son oeuvre « l’apparence incohérente et kaléidoscopique d’une création qui parait aller en tous sens« , mais dans laquelle Jean-Pierre Cuzin décèle ce qui pour lui en fait l’unité : « l’attention à l’individu, dans le respect de ce qu’il a d’unique (…) Ce souci de représenter, d’analyser l’homme… » (4) Mais il faut le reconnaître, « Il manqua à cet immense talent le génie, qu’avait David et qu’avait eu avant lui Fragonard … »(5)

Tours, Musée des Beaux-Arts © DR

Tours, Musée des Beaux-Arts © DR


(1) François-André Vincent traversera la période révolutionnaire en tant que « réformateur modéré ». Sa soeur sera guillotinée.
(2)  Émile ou de l’éducation, de Jean-Jacques Rousseau a été publié en 1762
(3) Les dessins feront l’objet d’une exposition spécifique au Musée Cognacq-Jay à Paris, du 26 mars au 30 juin 2014.
(4) Vincent entre Fragonard et David, p. 291
(5) Ibidem, p. 293

FAV COUVERTUREL’ouvrage VINCENT, entre Fragonard et David est publié par ARTHENA (Association pour la diffusion de l’Histoire de l’Art) Cette association, créée en 1978 à l’initiative de plusieurs conservateurs, chercheurs et amateurs soutenus par des institutions nationales importantes telles que le musée du Louvre, la Sorbonne ou le Centre national du livre, a pour principale mission d’éditer des ouvrages d’histoire de l’art à caractère scientifique et de valoriser avec une grande rigueur des artistes méconnus. Son comité scientifique est présidé par Pierre Rosenberg, ancien directeur du Louvre. ARTHENA a publié plus d’une soixantaine de livres qui pour la plupart n’auraient jamais pu voir le jour chez d’autres éditeurs.

ARTHENA, 8 rue François Miron, 75004 PARIS
tel  + 33 (0)1 41 71 61 08 / télécopie : 42 71 25 88
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