Le Saint Thomas de Vélasquez à Orléans : itinéraire d’un chef-d’oeuvre

« Dans la poussière de Séville… sur les traces du Saint Thomas de Vélazquez » : L’exposition-dossier présentée au musée des Beaux-Arts d’Orléans jusqu’au 14 novembre 2021 reconstitue l’histoire de ce célèbre tableau acquis au XIXe siècle par le musée. Attribué dans un premier temps à  Murillo, ce n’est que dans les années 1920 qu’il le sera officiellement à Velazquez (1599–1660). Un siècle plus tard, c’est un Saint Thomas récemment restauré que découvre le visiteur, avec une dizaine d’oeuvres d’autres artistes qui offrent un éclairage sur les sources et le contexte de création du tableau de Velazquez.
À voir jusqu’au 14 novembre 2021.

« Dans la poussière de Séville… », car c’est là que tout commence. Si Velasquez est aujourd’hui célèbre en tant que peintre de Philippe IV à Madrid, en 1620 il n’a qu’une vingtaine d’années et est encore à Séville, sa ville natale. Entré en 1610 dans l’atelier de Francisco Pacheco (1564-1644), peintre, théoricien de l’art et théologien espagnol, il a été reçu en 1617 dans la corporation des peintres. C’est par Séville donc que commence l’exposition avec une vaste vue panoramique de la Puera de America, la ville portuaire étant alors le lien unique de l’Europe avec les Amériques. « Séville est le meilleur maître de Velasquez, explique Corentin Dury, conservateur des collections anciennes du musée d’Orléans et commissaire de l’exposition, tout y est réuni pour que le jeune peintre dispose d’une fenêtre large sur l’histoire et les expérimentations artistiques qui marquent l’Europe du tournant 1600 ». Velasquez quittera sa ville natale en 1623 pour entrer au service du roi à Madrid.

On s’accorde  à voir aujourd’hui dans le Saint Thomas « le reflet de l’enseignement de Pacheco », mais aussi l’incarnation  de « cette manière terrible de regarder le monde propre au jeune Velasquez encore à Séville, avec notamment l’utilisation d’un jeune modèle hidalgo également présent dans le Saint Jean à Patmos ». Pourtant le tableau a longtemps été considéré comme un Solitaire de Murillo, l’artiste espagnol le plus commenté et collectionné par les Français entre le XVIIIe et le XIXe siècle, renommé pour ses peintures de genre, particulièrement des portraits de femmes et surtout d’enfants pauvres, tel le portrait du « jeune mendiant » conservé au Musée du Louvre.

1-IMG_20210611_173435IMG_20210611_173846Il faut attendre les années 1920 pour que le tableau retrouve son véritable auteur. C’est à un des pionniers de l’histoire de l’art, Roberto Longhi (1890-1970), qu’on doit son identification en septembre 1920 et l’oeuvre sera attribuée officiellement à Velasquez après la publication d’un article en 1927. Dès lors la notoriété du Saint Thomas ne cesse de grandir, d’autant que seuls deux musées en France – Rouen  et Orléans – possèdent un tableau de Velasquez. (1) le Louvre aura tenté en vain de s’en porter acquéreur. (2) L’oeuvre va même acquérir une dimension grand public, en figurant notamment en couverture d’un livre de poche – Les vies minuscules de Pierre Michon chez Folio -, ou dans une bande dessinée, avec  Nicolas de Crécy qui en 2018, dans Les Amours d’un fantôme en temps de guerre, imagine un portrait de fantôme dans la manche de l’apôtre… Quelques planches sont présentées dans l’exposition.

Radiographie du Saint Thomas de Vélasquez: détailLe travail de restauration du Saint Thomas occupe aussi une place importante dans cette exposition, dans la mesure où l’imagerie scientifique – lumière infrarouge et rayons X – en pénétrant la matière du tableau, permet de retracer les étapes de sa réalisation et d’en rendre visibles les procédés techniques. Des documents qui, chez Velasquez, « révèlent une technique particulièrement vive et maîtrisée » avec un positionnement de « ce que son maître Pacheco désigne comme les perfiles ciertos, soit des contours essentiels ».

En tant que réflexion aussi sur l’histoire de l’art, l’exposition replace le tableau « au coeur de ses sources et de son contexte de création ». Francisco Pacheco, bien sûr, mais aussi Juseppe de Ribera – qui a popularisé les « portraits » de penseurs -, Luis Tristȧn et Juan Martinez Montañes sont exposés aux côtés des trois Velasquez de l’apostolado (3) de la Chartreuse Notre-Dame de Las Cuevas à Séville: Saint Thomas d’Orléans, bien sûr, Saint Paul (Barcelone) et un fragment d’apôtre (Séville). 

1-IMG_20210611_172500Il y a aussi un Saint Philippe (photo ci-contre), une toile non signée prêtée par un collectionneur anglais (la collection Jonathan Ruffer à Londres); l’oeuvre, attribuée par Longhi à Velasquez, pourrait être issu de l’atelier du maître, avec – comme cela se faisait souvent – une participation de celui-ci.

À quoi est venu s’ajouter en cours d’exposition, un  « Saint-Simon en position assise à mi-corps comme les autres apôtres de Velázquez » un marchand d’art a signalé l’existence à l’étranger d’ à Guillaume Kienz. Ce spécialiste de Vélasquez, directeur de l’Hispanic society museum de New-York et ancien responsable des peintures espagnoles au Louvre, a émis l’hypothèse d’une attribution à Velasquez…Comme quoi «l’histoire de l’art se construit avec du temps et des confrontations », conclut Corentin Dury. Ce que cette exposition assez pointue mais très intéressante contribue à mettre en évidence.

les trois apostolado

(1) Il s’agit du Démocrite, peint vers 1630. Ce « portrait » imaginaire du philosophe grec rappelle celui, réel, d’un bouffon de Philippe IV d’Espagne, Pablo de Valladollid. L’oeuvre s’inscrit dans la vogue des « portraits » de philosophes  au début du XVIIe siècle, en Espagne, Flandres, Italie, pour orner les cabinets de travail et les bibliothèques aristocratiques qui se flattaient d’humanisme. (Source : Musée des Beaux-Arts de Rouen)
(2) Le Louvre qui, concernant Velasquez, a eu en quelque sorte une expérience « inverse »,  puisque, considéré comme un original à son entrée dans les collections françaises, au XVIIe siècle et  longtemps resté « le » Velazquez du Louvre, le « Portrait de l’infante Marguerite » (1654) a été  ensuite déclassé au rang d’oeuvre d’atelier, pour être aujourd’hui attribué au principal disciple du peintre espagnol.
Pour lire un article à ce sujet : cliquer ici
(3) « apostolado », mot espagnol pour désigner une série de12 tableaux des disciples du Christ.

À noter que depuis le 18 septembre et jusqu’au 8 janvier 2022 le musée des Beaux-arts d’Orléans accueille également une exposition dédiée à Ingres avant Ingres – dessiner pour peindre. Deux portraits conservés par le musée, ceux de Simon fils, dessinés par l’artiste dans sa  jeunesse, sont le point de départ d’une enquête sur ses premières années aux cours desquelles « sa singularité se manifeste d’abord dans l’exercice du dessin ». Une exposition rendue possible grâce au prêt  d’une quarantaine de dessins du Musée Ingres Bourdelle de Montauban, restaurés pour cette occasion.

Sans oublier la réouverture des salles du XIXe siècle, suite à leur rénovation et au redéploiement des collections, soit plus de 400 œuvres couvrant la période 1818-1870.

On ajoutera que le musée des Beaux-Arts d’Orléans se situe à côté de la cathédrale Sainte-Croix, qui compte parmi les 5 plus vastes cathédrales gothiques de France, et en face de la Maison de Jeanne d’Arc, reconstitution des années 60 de la demeure de Jacques Boucher, trésorier général du Duc d’Orléans, qui hébergea Jeanne d’Arc du 29 avril au 9 mai 1429 durant le siège d’Orléans.

Et qu’Orléans n’est qu’à une petite heure de Paris en train…

Musée des Beaux-arts d’Orléans
1, rue Fernand Rabier
45000 Orléans
02 38 79 21 83

Cet article, publié dans Culture, Patrimoine, est tagué , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

Laisser un commentaire