Les « Aliénés » du Mobilier national : le retour!

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Lilian Daubisse, « Récit » / Photo db

Un an après la première édition, les voici de retour à la Galerie des Gobelins, ces « Aliénés » du Mobilier national, et avec eux, un vent de folie vient à nouveau souffler sur la vénérable institution, héritière du garde-meuble royal créé au XVIIe siècle, haut lieu de patrimoine et de création contemporaine. Pour cette deuxième session, 39 créateurs sont intervenus sur plus d’une cinquantaine de pièces de mobilier des XIXe et XXe siècle inutilisées depuis longtemps et sans réelle valeur patrimoniale, autrement dit les « Aliénés ». Les artistes plasticiens sollicités ont eu carte blanche pour intervenir sur ce mobilier et le revaloriser en en faisant des pièces uniques où se mêlent originalité, audace et savoir-faire, renouvelant ainsi le lien entre décoration et oeuvres d’art. Des tapisseries modernes réalisées dans les manufactures des Gobelins et de Beauvais dialoguent avec les oeuvres exposées.

À voir jusqu’au 7 janvier 2024.

Originalité, audace et savoir-faire, ces trois mots résument bien ce qui rassemble les créations de cette nouvelle édition des Aliénés. Et aussi l’attention portée au matériau du meuble appelé à être métamorphosé, souvent du bois de noyer. C’est ainsi qu’Olivier Morel joue sur l’homophonie entre noyer et noyé pour transposer son univers de peintre et graveur sur une commode Empire. Les fleurs de lotus gravées dans le bois vernis et colorées à l’encre de Chine se prolongent sur le mur, imprimées sur des panneaux de papier Canson. 

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De gauche à droite et de haut en bas : Olivier Morel , Commode Lotus // Marie-Anne Thieffy,  » 205 y/o » // Franck Evenou, « redevenir un arbre » // Coralie Laverdet, « Peaux d’âmes » /photos et montage db

D’autres artistes se sont emparés des commodes Empire, ce meuble à trois tiroirs recouvert d’une plaque de marbre et reproduit à satiété tout au long du XIXe siècle. Marie-Anne Thieffry, qui  se définit comme « sculptrice et dentellière de carton » a travaillé son matériau de prédilection de deux façons différentes  – strates et dentelle – pour en recouvrir partiellement le meuble dont les tiroirs se trouvent condamnés, « gardant ainsi leur secret », précise-t-elle. Redevenir un arbre, c’est l’objectif que s’est fixé le designer et sculpteur Franck Evennou, en sculptant sur cette commode de noyer des ramures de l’ arbre originel, lequel semble reprendre vie, éclipsant sa fonction d’usage. Tout autre est la démarche de Coralie Laverdet, plasticienne et sculptrice de bois et papier, qui vise à donner un nouveau souffle au meuble et respecter sa fonctionnalité en l’agrémentant d’un revêtement composé de cuir et de papier (2), des Peaux d’âmes dont la découpe en petits carrés juxtaposés fait écho à un élément basique de l’ébénisterie du meuble. 

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Valérie Colas des Francs, « Bonnie and Clyde » / Photos db

Ces quelques exemples – choisis parmi d’autres – mettent aussi en évidence l’éventail et l’originalité des matériaux utilisés par les artistes : bois, carton, papier, cuir … Ajoutons la paille de seigle, dont Valérie Colas des Francs s’est fait une spécialité. C’est à un remarquable travail de marqueterie que s’est livré cette artiste sur une paire de tables de chevet de style Louis XVI en bois peint gris, choisies pour leurs formes droites se prêtant au travail de la paille. Baptisées Bonnie and Clyde, les deux chevets ont été entièrement recouverts, extérieur et intérieur, de paille, déclinée en couleur naturelle et en rouge, contraste et opposition complémentaires « à l’image du couple mythique qui leur donne leur nom ».

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Claire Salin, « Magda » (détail) / Photo db

Claire Salin a fait de la laine son matériau de prédilection avec l’orme. La sculptrice/ébéniste et « lainière »  a jeté son dévolu sur une armoire en noyer ciré de la moitié du XIXe siècle. Elle a réalisé sur les portes et les côtés du meuble une intervention raffinée et subtile mêlant inclusions de laine tricotée et mailles sculptées, en suivant le fil du bois massif. Pour celle qui vit et travaille dans un village du Cher,  « en compagnie des arbres et des moutons », il s’agit d’exprimer « notre relation au végétal et l’animal ». 

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Josepha de Vautibault, « Res nullus » / Photo db

Il est aussi question d’animal dans le travail présenté par la dessinatrice et céramiste Josepha de Vautibault, mais dans un registre tout différent. l’artiste a doté de têtes, pieds et queues en céramique deux tables de décharge du XXe siècle les métamorphosant en âne et bélier (?). Les socquettes et ornements aux pieds des ongulés ajoutent à l’humour du détournement… 

Il arrive que le meuble perde complètement son identité, devienne un tout autre objet. C’est le cas d’une table de toilette époque Restauration transformée en bureau pour Beatmaker par le collectif de designers Hall Haus. Flanqué de deux casiers en métal jaune qui sont la signature du collectif et intitulé 1880 BPM (Battements Par Minute), ce nouvel objet totalement anachronique nous fait passer du XIXe siècle au hip-hop. (3) 

Quant à la table de conseil en chêne et métal patiné, provenant de la succursale de Lille de la Banque de France, une étrange sculpture en occupe la partie médiane. Le plasticien Lilian Daubissse est à l’origine de cette oeuvre réalisée en carton, constituée d’un foisonnement de lamelles ajourées, semblant sortir du bois du plateau et proliférer comme une plante invasive ou des champignons, s’élevant comme un obstacle à la communication autour de la table. Peut-être une façon de freiner le flux de la finance… une hypothèse que l’artiste ne récuse pas… Le travail sur le carton, de trois sortes différentes, est impressionnant par sa finesse et ses variations de texture, jouant avec la lumière.

D’autres oeuvres passionnantes sont à découvrir au delà de ce parcours partiel et subjectif. (4)

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Collectif Hall Haus, « 1880 BPM  » / Photo db

(1) La gravure Labyrinthe 2K2 d’Olivier Morel été acquise en mai 2019 par le Mobilier National en vue de la réalisation d’un tapis dont le tissage a débuté en novembre 2021 à la Manufacture de la  Savonnerie à Paris. 
(2) Ce revêtement est le fruit d’une recherche de matériaux effectuée avec le concours de la marque J.M.Weston, partenaire officiel des Aliénés. Il s’agit de papier mâché mélangé avec de la poudre de cuir, résidu naturel obtenu après le passage des peaux à la poreuse pour affiner les cuirs. 
(3) Le collectif Hall Haus est le fruit de la rencontre de quatre amis designers – Sammy Bernoussi, Zachari Boukhari, Abdoulaye Niang et Teddy Sanchez – diplômés de l’ENSCI et des Arts et Métiers.
(4) Retour sur la 1ère édition : https://debelleschoses.com/2022/06/10/les-alienes-du-mobilier-national-du-rebut-a-la-metamorphose/

La Galerie des Gobelins
42 avenue des Gobelins
75013 Paris

Entrée libre et gratuite du mardi au dimanche de 11h à 18h
Dernière entrée à 17h15
Fermé le 25 décembre et le 1er janvier

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