C’est dans le bel espace du nouveau et très riche musée du verre François Décorchemont, à Conches-en-Ouche dans le département de l’Eure, que les visiteurs peuvent découvrir jusqu’au 26 novembre 2023 les 150 pièces provenant de la donation effectuée en février 2023 par le couple Vitrat. Elles ont toutes été réalisées dans les verreries Legras, dans la Plaine Saint-Denis et à Pantin, qui doivent leur nom au maître verrier  François-Théodore Legras (1839-1916), leur fondateur, et figurent parmi les plus importantes de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Les pièces exposées couvrent cinquante ans de création, des années 1880 à  la période Art déco, et témoignent des différentes techniques de fabrication et de décoration des verreries. Le visiteur poursuivra sa visite dans l’imposante collection permanente du musée – vitrail, arts décoratifs, sculpture – de la fin du XIXe siècle à aujourd’hui.

© Musée du verre François Décorchemont/ Paul Louis

Car l’histoire du musée ne commence pas avec son installation, il y a tout juste un an, dans l’ancien hospice de Conches-en-Ouche. En 1996 est créé un premier musée « du Verre, de la Pierre et du Livre » , regroupant les anciennes collections municipales (archéologie, ethnologie, beaux-arts, livres anciens …) et les nouvelles collections de verreries. Lesquelles comprennent des oeuvres du maître verrier François Décorchemont (1880-1971), né et mort à Conches et qui a été « un des premiers praticiens de la pâte de verre, une technique qu’il a appliquée au vitrail à partir de 1929 », explique Éric Louet, conservateur du musée.

Progressivement, le musée s’est ouvert aux différents domaines du vitrail et des arts décoratifs en verre. C’est « l’intérêt porté à la pâte de verre et la diversité des collections, y compris sur le plan international, qui constituent l’identité du musée ». À partir de 2018, le projet d’un nouveau lieu aboutira à l’ouverture du Musée du Verre François Décorchemont, le 25 juin 2022. L’édifice, une ancienne abbaye devenue hospice au XIXe siècle, a été entièrement rénové et restructuré autour de sa chapelle centrale, pour accueillir sur 1200 m2 les quelque 600 pièces en verre et 200 oeuvres graphiques d’un fonds acquis  au fil des achats et des dons. (1)

© Musée du verre François Décorchemont/ Paul Louis

Le dernier de ces dons, effectué par les Vitrat en février 2023, consiste en 150 pièces issues des verreries Legras, dont la majeure partie fait l’objet de cette nouvelle exposition temporaire. En 2013, le musée avait déjà consacré une exposition au maître verrier François-Théodore Legras, grâce à un important prêt. Dix ans plus tard, les prêteurs ont cette fois souhaité que les pièces intègrent les collections du musée et donnent aux verreries Legras la place qui leur revient dans l’histoire de l’art verrier.

Sous l’impulsion de François-Théodore Legras, qui les a dirigées de 1866 à 1909, elles sont en effet devenues la plus importante des manufactures verrières du début du XXe siècle. La société anonyme des verreries de Saint-Denis et Pantin réunies employait alors près de 1300 personnes et disposait de dix fours. Si la production était essentiellement tournée vers la verrerie fantaisie utilitaire (services de tables, flacons de liquoristes, articles de laboratoire), François-Théodore Legras a développé la création de verreries d’art, dont les décors émaillés et parfois gravés de fleurs, de feuilles et de paysages ont fait la réputation des établissements qui ont recueilli de nombreuses récompenses et médailles aux différentes expositions internationales, notamment celle de 1889.

Le colporteur passe devant une échope Legras… /Photo db

Le parcours de l’exposition sur la donation Vitrat reflète cette diversification. Si les premières vitrines s’ornent d’objets fantaisie utilitaires, « soufflés dans des moules et décorés à la main », précise Éric Louet, plus on avance dans la salle, plus les pièces se font «  rares et artistiques ». Elles mettent aussi en évidence les différentes techniques de fabrication et décoration : verres guillochés (gravés à l’acide et réémaillés) ou opalines émaillées dont certaines évoquent la porcelaine. On s’arrête un instant devant un vase au décor moyenâgeux où un colporteur de verre passe devant une échoppe Legras…

Les décors étaient généralement regroupés par série (Printania, Arabisant, Emeraude, Vigne-vierge …) – comme le montrent les panneaux et affiches présentés dans l’exposition – et déclinés sous plusieurs formes. Parmi ces décors, les scènes de sous-bois enneigé sont remarquables de finesse d’exécution.

vase à décor floral gravé à la roue (vers 1920) © Musée du verre François Décorchemont / Paul Louis

Mais après la Première guerre mondiale s’amorce une période de déclin. Apparemment, « les bons décorateurs ont disparu au front et n’on pas été remplacés », indique Éric Louet. Une autre technique apparait alors, la gravure à la roue, qui se pratique à l’aide de meules. Auparavant, elle ne servait qu’à souligner un détail ou une courbe, mais après 1918 puis dans les années 1920 son usage permet de réaliser des motifs stylisés correspondant au nouveau goût pour l’Art Déco.

On monte ensuite à l’étage pour commencer la visite de la collection permanente présentée dans une succession de cinq salles ouvrant sur un large couloir lumineux, selon un parcours chronologique bien documenté, de l’Art nouveau  au vitrail du XXe siècle, en passant par la verrerie art déco, la manufacture de verre Schneider et, bien sûr, François Décorchemont. Dans la salle dédiée au « maître de la pâte de verre », on se familiarise avec cette technique particulière qu’il commence à utiliser en 1903 et qu’il fera évoluer pour produire des pièces décoratives de plus grande taille, rejoignant les recherches contemporaines de René Lalique,  pour un renouvellement esthétique. Une technique qu’il appliquera dans les années 1930  au vitrail.

François Décorchemont, vitrail Monuments de Conches, 1962 /pâte de verre et ciment/photo db

Après la Seconde Guerre mondiale et jusqu’à la fin de sa vie, il se consacrera principalement à la création de verrières figuratives en pâte de verre pour de nombreuses églises de l’Eure. En 1956, il réalise le vitrail Saint Paul pour la chapelle de l’hospice de Conches, puis, en 1962, un grand vitrail représentant les principaux monuments de la commune, à la demande de celle-ci. Le musée conserve la principale collection publique de vitraux en pâte de verre réalisés entre 1932 et 1970 par François Décorchemont.

Le parcours dans la collection permanente se poursuit au rez-de-chaussée, d’abord avec la production verrière en France après la Seconde Guerre mondiale. Alors que Murano, la Scandinavie et la Tchécoslovaquie deviennent la référence pour les créations en verre, les manufactures françaises – Daum, Schneider et Lalique – s’orientent vers le cristal, massif et incolore. Dans le même temps s’amorce, au sein d’ateliers indépendants, ce qui va devenir la tendance majoritaire et dynamique de la création artistique en verre des trois dernières décennies du XXe siècle : la sculpture de verre. Le musée de Conches rassemble aujourd’hui « l’une des plus importantes collections françaises dans ce domaine », souligne Éric Louet.

Vladimir Zbynovsky, « Sphère » 2003/ granit et verre optique thermoformé / Photo db

Les deux dernières salles sont dédiées à cette production artistique contemporaine, avec des pièces remarquables, dont Sphère, de Vladimir Zbynovsky – né à Bratislava (Slovaquie) en 1964 – une oeuvre qui, comme toutes celles que l’artiste crée depuis trente ans, associe la pierre et le verre, en l’occurrence du granit et du verre optique thermoformé. (2)

Au passage, on se sera  attardé dans le cabinet d’art graphique où  un hommage est rendu à Thierry de Beaumont décédé en 2022. Durant près de quarante ans, cet enseignant, photographe et journaliste spécialiste du verre contemporain a visité les ateliers d’artistes, les salons et les expositions pour couvrir et rendre compte de l’actualité de la création verrière dans les revues d’art. À l’occasion de la donation par sa famille de ses archives, sont exposés des portraits de verriers réalisés au cours de sa carrière.

Ricky Bernstein, « Voilà! » /photo db

Changement de décor et d’esprit dans la chapelle, « un espace réservé à des petites installations d’art contemporain », indique Éric Louet. C’est donc là, sous la hauteur des voutes et la lumière des vitraux (réalisés par des verriers d’Évreux et par Décorchemont), qu’est présentée Voilà!, une oeuvre de Ricky Bernstein. L’artiste américain, qui puise son inspiration dans les sitcoms et comics de son enfance, se qualifie comme « narrateur visuel ». Voilà! se présente en effet comme une sorte de vignette géante de BD en relief, faite de peinture à l’huile et à l’acrylique, crayon d’huile, divers objets sur verre et aluminium). Si l’oeuvre quitte les murs de la chapelle le 18 juin 2023, les visiteurs pourront toujours la voir, car son auteur en a fait don au musée et son accrochage est prévu de façon permanente – et très pertinente- dans la cafétéria… (3)

On n’hésitera pas à prolonger la visite du musée par celle de Conches-en-Ouches, ses maisons anciennes et son église Sainte-Foy avec ses vitraux du XVIe siècle…

Conches : Église Sainte-Foy et vitrail de l’Annonciation /photos et montage DB

(1) Suite à un appel d’offres lancé en 2017,  c’est l’agence d’architecture parisienne Dubois & Associés qui s’est vu confier la maîtrise d’œuvre. Quant à la muséographie elle est assurée par l’entreprise italienne Harmoge. Cette initiative (5 millions d’euros d’investissement) a été soutenue par l’Etat et la Région Normandie.
(2) Vladimir Zbynovsky associe la pierre (la matrice) et le verre (la lumière) dans ses oeuvres depuis 1993. Sphère a été créée en 2003, pour les Verriales de la Galerie Internationale du Verre de Biot. Il participe à la saison d’art 2023 du domaine de Chaumont-sur-Loire. L’artiste s’est vu confier la réalisation d’un nouvel autel pour la basilique Saint-Denis, qui a été inauguré en 2018.
(3) À partir du 1er juillet et jusqu’au 26 novembre 2023 la Chapelle et le jardin du musée accueilleront Expirez/Inspirez, une exposition du couple d’artistes britanniques Sally Fawkes & Richard Jackson.

Le musée du verre François Décorchemont à Conches / Photo db

Musée du verre François Décorchemont

25 Rue Paul Guilbaud
27190 Conches-en-Ouche
 02 32 30 90 41