Adolphe Willette à l’Isle-Adam : « J’étais bien plus heureux quand j’étais malheureux »…

Adolphe Willette, "L'Amour et la folie", 1909, coll.part. © db

Adolphe Willette, « L’Amour et la folie », 1909, coll.part. © db

Le musée Louis-Senlecq de l’Isle-Adam présente jusqu’au 28 septembre 2014 la première exposition monographique dédiée à Adolphe Willette (1857-1926) et conçue en collaboration avec le musée Félicien Rops de Namur. L’intitulé paradoxal est à l’image d’un personnage singulier et d’un artiste foisonnant et contradictoire, qui s’est illustré dans la peinture, le dessin de presse et publicitaire. Son nom est inséparable de Pierrot dont il a fait son double artistique et de la République de Montmartre dont il fut le premier « président »… 

 

… Une « République de Montmartre » que l’exposition évoque au travers de quelques oeuvres et documents et que ses représentants ont fait revivre à l’Isle-Adam, avec costumes d’apparat et fanfare, lors de l’inauguration de l’exposition au Musée Louis-Senlecq…

Un sénateur de la République de Montmartre devant une oeuvre de Willette, le 21 juin 2014 © db

Un sénateur de la République de Montmartre devant une oeuvre de Willette, le 21 juin 2014 © db

Mais pourquoi l’Isle-Adam? C’est « le hasard des amours de Willette avec Christiane Bastion, dite Cri-Cri » qui a amené l’artiste  à fréquenter le lieu entre 1886 et 1899.  « Des oeuvres données au musée d’Art et d’Histoire Louis-Senlecq par les amis adamois  de Willette ont constitué le point de départ de cet important travail de redécouverte« , indique Anne-Laure Sol, conservatrice du musée. Un patient et méticuleux travail qui a abouti à cette exposition monographique riche de quelque 250 oeuvres et documents et à la publication d’un catalogue, véritable ouvrage de référence sur l’artiste. (1)

À vrai dire, un artiste pétri de contradictions, « ambigu« , selon Anne-Laure Sol. « Animateur mélancolique d’une société vouée au plaisir, provocateur aux ambitions bourgeoises, poète égaré dans le monde de la publicité et de la réclame, Pierrot amoureux que la vie transforme peu à peu en réactionnaire bigot, Willette émeut par ses contradictions« .

WILLETTE VISUELSFacettes et contradictions qui se révèlent au fil de l’exposition. « J’étais bien plus heureux quand j’étais malheureux » : cette confession paradoxale qui lui a donné son titre est tracée de la main de Willette sur son portrait photographique, avec la date de 1906. Costume sombre, chapeau, le cheveu gris et le regard perdu au loin, l’homme parait  triste. Plus triste, en tout cas que celui du Portrait d’Adolphe Willette en Pierrot avec un chat, dessiné dix ans plus tôt par Marcellin Desboutin, autre artiste Montmartrois.

L’accrochage complété par L’Amour et la folie, une toile peinte par Willette en 1909, constitue, dès la première salle de l’exposition, une bonne introduction au personnage qui s’est identifié à celui de Perrot. « La bohème de Willette fut celle de Pierrot. La ressemblance entre le personnage enfarinée la Commedia dell’arte et l’artiste est frappante (…) En réinventant Pierrot, en le dotant de l’habit noir démocratique, Willette offre un caractère emblématique à la fois de lui-même et de son époque« , écrit Jean-Didier Wagner (Bnf) dans le catalogue de l’exposition. (2)

Adolphe Willette, "Parce Domine",1884 © musée de Montmartre, dépôt du musée Carnavalet

Adolphe Willette, « Parce Domine »,1884 © musée de Montmartre, dépôt du musée Carnavalet

 

Tout aussi emblématique est l’imposante toile Parce Domine, parce populi tuo, considérée comme le chef-d’oeuvre  de Willette qui l’a peinte en 1884 pour décorer le nouvel espace du cabaret du Chat noir. Des personnages – dont Pierrot – sont entrainés dans une étrange et irrésistible farandole, menant du Moulin de la Galette à on ne sait quel obscur destin… On peut y voir  « l’ambivalence de l’esprit montmartrois, tout à la fois festif et désabusé, pétri de sentiments mêlés à l’égard des vices, des vertus et des plaisirs en tout genre. Mais Willette projette également nombre de ses obsessions personnelles relatives à l’argent, aux femmes et à la morale« , comme l’écrit Nichols-Henri Zmelty. (3)

Adolphe Willette,"Adieu au XIXe siècle", vers 1885, ©L’Isle-Adam, musée d’Art et d’Histoire Louis-Senlecq

Adolphe Willette, »Adieu au XIXe siècle »,1885,
©L’Isle-Adam, musée d’Art et d’Histoire Louis-Senlecq

Dans la même salle, le grand tableau Passage de Vénus devant le soleil (appelé aussi Adieu au XIXe siècle), peint en 1885  et récemment acquis par le Musée de l’Isle-Adam est tout aussi exemplaire de l’iconographie élaborée par Willette.  Au premier plan, on devine un moulin dont les ailes sont en réalité des portées et des notes de musique et sur lesquelles trône la silhouette d’un chat noir. Juché sur une butte, Pierrot, entouré de chats noirs, retourne ses poches pour signifier son indigence. La partie supérieure du tableau met en scène le triomphe de la Fortune, évoquée par une allégorie féminine. Simplement vêtue de bas noirs, assise sur un char trainé par de gros hannetons, elle tient le fil d’un pendule dont dépend le sort du Pierrot qui l’implore… (4)

Adolphe Willette, "Cortège nocturne", 1884. Association des amis du petit palais, Genève (Suisse) Photo db

Adolphe Willette, « Cortège nocturne », 1884. Association des amis du petit palais, Genève (Suisse) Photo db

 

Un « Pompier mélancolique« , Willette peintre ? La formule correspond bien à celui qui se réclame de Watteau et admire Puvis de Chavanne… Derrière les allégories qu’on peut ne pas apprécier, il y a de la virtuosité, particulièrement sensible dans le tableau intitulé Cortège Nocturne (1884), avec un beau travail sur la matière et la lumière. Une oeuvre dont on suppose qu’ elle figurait, avec les deux précédentes, sur les murs du Chat noir

A.Willette, "Les étrennes de Marianne", Le rire rouge n°7 2 janvier 1915 Coll. privée

A.Willette, « Les étrennes de Marianne », Le rire rouge n°7 2 janvier 1915 Coll. privée

La dernière partie de l’exposition, consacrée à Willette dessinateur, offre un véritable panorama de la presse illustrée entre 1880 et 1918. Car les positions politiques « multiples, changeantes et souvent contradictoires » de Willette se reflètent dans ses nombreuses collaborations à la presse satirique de tous bords… Ce qui fait « que l’on doit se résoudre à (le) définir moins par la certitude de ses adhésions que par la virulence de ses haines« , conclut Bertrand Tillier, professeur d’histoire de l’art contemporain à l’université de Bourgogne. Il sera donc, entre autres, à la fois antiautoritaire et anti républicain, anticlérical et antimaçonnique, anglophobe et germanophobe. Antidreyfusard et antisémite, il ira jusqu’à se présenter aux élections législatives de septembre 1889 comme « candidat antisémite », indépendamment de la Ligue antisémitique de Drumont, dans le 9ème arrondissement de Paris… Tandis qu’en 1891  il prend la défense du Montmartrois et communard Jean-Baptiste Clément – l’auteur du Temps des cerises – condamné pour ses activités syndicalistes et militantes à deux ans de prison et cinq ans d’interdiction de séjour.

Au travers de la découverte de l’oeuvre et du personnage d’Adolphe Willette, c’est à la rencontre du microcosme montmartrois et de l’histoire sociale et politique de la France des années 1870 à celles de la Première guerre Mondiale, que nous convie l’exposition du musée Louis-Senlecq à l’Isle Adam.

En espérant qu’un été indien permettra à ses visiteurs de profiter du charme des berges de l’Oise …

La signature de Willette au bas de "Parce Domine…"© db

La signature de Willette au bas de « Parce Domine… »© db

 

(1) Peintures, dessins originaux, affiches, photographies, revues, etc. rassemblés grâce aux prêts d’institutions publiques à Paris (Bibliothèque nationale de France, musée des Arts Décoratifs, musée Carnavalet, musée de Montmartre, Bibliothèque Forney, Mobilier national) et à Genève ( musée du Petit Palais), et de nombreux collectionneurs privés. Le catalogue est publié aux éditions LIENART

(2) Une époque qui est celle du mime Charles Debureau (1829-1873) qui dans la continuité de son père Baptiste Debureau a remis à l’honneur le personnage et contribué à créer une image du « Pierrot français ».
(3) Son titre complet Parce Domine, parce populi tuo / Ne in aeternum irascaris nobis (Epargne, Seigneur, épargne ton peuple / Ne sois pas irrité éternellement contre nous) est emprunté à un cantique qui servait notamment pour les saluts du saint sacrement au temps du carême et dont les sept couplets évoquent les désordres provoqués par les « chrétiens infidèles » (Cf « Arcanes lyriques« )…
(4) Pour lire l’article publié lors de l’acquisition de cette toile, cliquer ici

Musée d’Art et d’Histoire Louis Senlecq
31, Grande Rue
95290 L’Isle-Adam
Tél : 01 74 56 11 23

Musée Félicien Rops
Rue Fumal 12,
5000 Namur, Belgique
+32 81 77 67 55

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